Le Lean Six Sigma à l’heure du Big Data

Le Lean Six Sigma à l’heure du Big Data
Publié le Mercredi 2 octobre 2019

Sylvie Gallo
Consultante Senior, Master Black Belt

Dans une économie de plus en plus compétitive, les entreprises opèrent une « révolution 4.0 » afin de collecter des données leur permettant d’analyser l’évolution de leur marché et de coller au mieux aux attentes de leurs clients. L’augmentation considérable de ces données recueillies ces dernières années, dans des domaines très variés (marketing, entreprises manufacturières, réseaux sociaux, l’Internet des Objets), rend impérative la mise en place par les entreprises de systèmes d’analyses fiables et pertinents : ne s’améliore que ce qui se mesure, ne se mesure que ce qui se comprend, ne se comprend que ce qui se partage !

Le Big Data

Les évolutions informatiques de ces dix dernières années ont permis aux entreprises d’accéder à des informations caractérisées par leur volume (la quantité d’informations générées), la vitesse d’acquisition (quasi-instantanée), et leur variabilité (différents canaux d’informations).

Ces données collectées, stockées sur des serveurs dont la consommation énergétique devrait d’ailleurs augmenter de façon exponentielle dans les prochaines années1, sont le nouvel Eldorado des entreprises pour analyser les comportements et améliorer la qualité des produits et services, en vue d’une satisfaction client de plus en plus personnalisée.

Il faut pour cela que les entreprises se dotent d’outils d’analyse performants et de personnel qualifié pour interpréter de façon fiable et pertinente ces marées de données. "L'information n'est pas le savoir" disait Albert Einstein, et, selon Alfred Sauvy2 « les statistiques sont des êtres sensibles et délicats qui, soumis à la torture, livrent des avis conformes aux désirs des bourreaux ».

Pour gérer ces données, et assurer la compétitivité de sa compagnie, il faut donc être préparé et penser en amont : s’organiser (quels indicateurs suivre ?), se former (savoir identifier les questions, savoir comment analyser les données), et partager les résultats d’analyses au sein de l’entreprise pour prendre les meilleures décisions. Alors, les bénéfices du Big Data comme par exemple l’augmentation du nombre de clients, du chiffre d’affaires, ou encore la réduction des coûts de fonctionnement, seront au rendez-vous de la performance.

Le Lean Six Sigma

L’amélioration des performances n’est pas un concept nouveau dans les entreprises : au cours du XXe siècle, de nombreuses démarches visant la Qualité Totale ont vu le jour, et les travaux de Walter Shewhart, W.Edwards Deming, Joseph Juran et tant d’autres ont permis aux entreprises comme Toyota et Motorola d’adapter et « mettre en musique » des outils en vue d’une réussite basée sur la satisfaction client et la vitalité financière de leurs entités, en se basant sur des analyses de faits et non d’opinions.

Mais le Lean Six Sigma, outre les outils qu’il propose, est avant tout une démarche d’amélioration des processus basée sur la remise en cause permanente, l’intelligence collective et le juste nécessaire. Tout projet d’amélioration passe par cinq étapes successives :

  • Définir le projet : qu’est-ce que la satisfaction client (« Voix du Client ») ? Comment la mesure-t-on (indicateurs de performance) ? Quel est l’objectif à atteindre ? Quels sont les facteurs supposés influents sur les indicateurs ?
  • Mesurer : le système de mesure est-il fiable ? Les données sont-elles correctement collectées (non biaisées) ? Quelle est la performance actuelle (niveau de départ auquel on viendra se comparer à la fin du projet) ?
  • Analyser : quels sont les facteurs réellement influents sur le processus (causes racines) ?
  • Innover (améliorer) : comment agir sur ces causes racines et éviter qu’elles perturbent le processus ?
  • Contrôler (mise sous contrôle) : assurer la pérennité des solutions mises en place, évaluer les gains de performance et les gains financiers.

Opérer la révolution 4.0

Les entreprises ont dorénavant un accès de plus en plus facile aux données, et l’analyse factuelle des situations peut enfin se systématiser… si cette analyse est organisée.

Avec la mondialisation, nous assistons à une accélération des cycles de mise sur le marché, nécessitant des analyses rapides et fiables par du personnel formé, dans des entreprises agiles qui s’adaptent aux attentes de leurs clients.

Le métier de Chief Data Officer ou Data Scientist a fait son apparition pour maîtriser la qualité des données de l’entreprise. La valorisation du « trésor digital » est en effet freinée par quelques mauvaises pratiques, qu’il reste à transformer :

  • La « maladie » des fichiers Excel : les entreprises au sein desquelles les collaborateurs n’ont pas véritablement appris à travailler ensemble croulent sous le nombre de fichiers créés par chaque Service, avec des informations parfois contradictoires selon les sources d’information choisies. Chaque entité choisit des indicateurs qui, une fois regroupés pour les bilans mensuels, donnent des tableaux de bord prospectifs3 de plusieurs pages aux couleurs Vert/Jaune/Rouge du plus bel effet… mais complètement inexploitables car les indicateurs sont trop nombreux et trop « macro » (décorrélés du terrain).
  • La validité insuffisante des informations collectées et leur fragmentation : la multiplication des fichiers rend difficile la maintenance des données collectées. Les bases de données sont en effet périssables (évolution des process, changements de pratiques), et mettre à jour une information dans des fichiers décorrélés représente une charge de travail colossale.
  • Respect insuffisant de la vie privée : il faut recueillir des informations afin de spécialiser l’offre et l’adapter aux besoins de chaque client, mais ce client réclame en même temps un droit à l’anonymat pour ne pas se sentir « pisté » et être la cible de contacts non sollicités. Au sein même des entreprises, pour améliorer les processus élaborant les produits ou services, il faut collecter des informations permettant de mettre en lumière des disparités de fonctionnement entre employés, mais ne pas conserver trop de données nominatives sur ces collaborateurs...

À y regarder de plus près, que l’on parle d’entreprise « traditionnelle » ou « 4.0 », les principes fondamentaux restent les mêmes : pour être compétitives, les compagnies doivent identifier leurs clients et leurs besoins essentiels, définir quels indicateurs opérationnels elles doivent garantir (le juste nécessaire), s’assurer de la fiabilité de leurs informations et rechercher les causes racines qui parasitent leur prospérité.

Les entreprises qui ont mis en pratique le Lean Six Sigma savent déjà, par leurs « Belts », appliquer ces principes de base. Les Black Belts pratiquent les tests de statistique descriptive et les tests d’hypothèse, et savent faire la différence entre corrélation et causalité. Ils sont rompus à l’analyse exploratoire des données et à la détection des causes racines influençant les processus.

Lean Six Sigma et Entreprise 4.0 ne sont donc pas deux transformations si éloignées l’une de l’autre ! En adaptant les préconisations de Robert S. Kaplan4, avant de nous noyer dans les Data Lakes, demandons-nous avant de monter dans l’avion si le tableau de bord a été fait par un financier avec juste l’heure d’arrivée (sans indication de niveau de carburant, altitude, surveillance radar des environs, sondes de fonctionnement de l’appareil), ou par un informaticien adepte du Business Intelligence ayant créé tellement d’indicateurs que le pilote n’aura pas assez de temps pendant le vol pour en prendre connaissance !

Pour en savoir plus sur le sujet, visionnez le replay de la web-conférence « Six Sigma et Big Data » animée par Jean-Louis Théron et retrouvez sur nos sites internet nos offres de formation et conseil.


1 Selon lebigdata.fr, en 2017, l’écosystème numérique représentait environ 7% de la consommation mondiale d’électricité. D’ici 2020, cette consommation pourrait atteindre 12% et augmenter d’environ 7% par an d’ici 2030

2 Statisticien français du XXè siècle

3 Balanced Scorecards en anglais

4 Relevance Lost: The Rise and Fall of Management Accounting, Robert S. Kaplan, H. Thomas Johnson, Harvard Business School Press, 1987


Sylvie Gallo
Consultante Senior, Master Black Belt

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