Lean vs urgence climatique : rupture ou cohérence ?
Depuis les années 70, des éléments factuels concernant les changements climatiques et environnementaux induits par l’activité humaine ont été présentés par la communauté scientifique. Le rapport Meadows ou du club de Rome faisait état des limites de notre système actuel et d’une solution à trouver entre croissance, démographie, environnement et ressources. Mais la première convention-cadre de l’ONU en la matière date de 1992 et les "conventions des parties" (COP) pour le climat ont démarré en 1995. Et ce n’est que dix ans après, avec la conférence de Kyoto que ses tenants et aboutissants ont commencé à être vulgarisés, diffusés à un large public et pris en compte à l’échelle sociétale.
Pour autant, depuis ½-siècle, les politiques visant à réduire les impacts peines à être mises en œuvre et les avancées en termes d’action souvent limitées à l’échelle locale ou individuelle. En parallèle, la nature n’attend pas et les mécanismes à l’œuvre s’accélèrent.
L’acceptation et la prise en compte de ces dimensions amènent la nécessité incontournable d’une transition écologique, dont les modalités peuvent se regrouper dans la notion de "Développement Durable". A échelle d’une entreprise, sa déclinaison amène vers la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises). Mais ces démarches sont-elles suffisantes au vu de l’urgence climatique dont il est question ? N’y a-t-il pas d’autres leviers d’action via les méthodes de transformation et d’excellence opérationnelle déjà pratiquées par de nombreuses structures et qui représentent l’activité quotidienne d’une communauté d’acteurs, donc à portée de main ? Et ne faut-il pas d’abord mettre en question la compatibilité des méthodes elles-mêmes, dont le Lean Management, avec le besoin de transformation visé ?
Cohérence des démarches Lean avec le besoin de transition écologique
- Depuis leur formalisation par Toyota, les méthodologies d’amélioration continue qui ont par la suite été regroupées sous l’appellation "Lean" répondaient au besoin de prendre en compte des enjeux potentiellement contradictoires en matière de rentabilité et de satisfaction des clients (stocks vs rapidité et conformité au 1er coup), par différence du Fordisme, qui n’intégrait pas la limitation des ressources. Nous sommes aujourd’hui dans une situation similaire, où un nouvel enjeu apparemment contradictoire aux critères établis doit être pris en compte pour permettre la viabilité des activités des entreprises. Lequel enjeu est pareillement lié à une question de ressources. Les conditions opératoires du Lean sont donc cohérentes avec le besoin actuel de transformation en profondeur.
- Son objet : dans un contexte de ressources précieuses et limitées, se focaliser sur un critère différenciant (la "Valeur Ajoutée" pour le client) en agissant sur toutes les sources de perturbation (Muda – Muri – Mura), l’est tout autant. En revanche, le critère différenciant devra impérativement s’étendre au besoin de "Durabilité" pour la société humaine. Pour cela, certains paradigmes doivent évoluer. Par exemple, la recherche d’efficience, dans la description faite par Christophe Sempels dans Harvard Business Review intègre trois dimensions : l'économie (monétaire) en tant que MOYEN, le social en tant qu’OBJECTIF et l'environnement en tant que CONDITION. Cette dernière est devenue un postulat de base, incontournable : il faut prendre en compte l’environnement pour ne pas l’épuiser et prolonger notre coexistence avec lui.
- Enfin, ses modalités de mises en œuvre : l’intelligence collective, la remise en question permanente, le juste nécessaire, ne peuvent que résonner avec les besoins actuels !
Il semblerait donc que les bases du Lean restent pertinentes pour contribuer à la transition environnementale des entreprises.
Les leviers d’action que peut fournir le Lean Management
Tous les outils et méthodes du Lean agissant sur l’identification des gaspillages et la maîtrise des ressources (domaine du "juste à temps") sont, par définition, adaptés à identifier et à réduire les impacts environnementaux, pour peu qu’on les utilise avec le bon "filtre". Pour ne prendre qu’un exemple, une analyse de déroulement peut se lire en termes d’activités gaspillant ou non des ressources environnementales différenciées par nature. Mais des outils complémentaires, permettant, par exemple, d’affiner les bilans carbones peuvent être pertinents.
Il convient simplement de les revisiter par rapport à la finalité recherchée pour qu’ils soient efficaces et que des acteurs les prennent en main à grande échelle.
Or, les entreprises qui se sont déjà dotées de responsables amélioration continue, ont formé leurs méthodistes, techniciens et managers aux rôles de Green Belt (animateurs) ou Yellow Belt (praticiens) qui ont déjà ces moyens humains qui peuvent traduire des objectifs stratégiques de leur feuille de route environnementale en actions concrètes et démultiplier leur impact.
La démarche Hoshin Kanri de déclinaison stratégique étant elle-même tout à fait pertinente pour structurer la transformation de l’entreprise également au regard de ces nouveaux enjeux.
Puis, en termes de pilotage, les axes de performance SQDC (Sécurité/Sérénité, Qualité, Délai, Coût) se complèteront aisément d’une 5ème dimension : l’Environnement. On en retrouvera des objectifs chiffrés dans la réglementation et comme les axes préexistants, il sera interdépendant avec eux, contribuant par exemple à la Sérénité (attentes d’une grande partie des Hommes et Femmes) ou ayant un impact économique direct ou indirect non négligeable.
Sans amener toutes les solutions, le Lean peut donc fournir une approche et des moyens logiques et cohérents en utilisant la recherche d’efficience au service de la transition écologique. Une condition est cependant nécessaire : intégrer cette finalité dans les programmes de l’excellence opérationnelle. Mais c’est vrai pour tout enjeu de transformation : pour construire une feuille de route pertinente, il faut toujours définir ce que veut atteindre l’entreprise.
Le rythme de mise en œuvre est une question de vision et de décision
En résumé, la plupart des entreprises ont les moyens d’agir de façon concrète pour que leurs processus opérationnels soient radicalement transformés au regard de critères environnementaux. Or nous n’avons que trop peu d’exemples de dynamiques terrain en la matière … Que manque-t-il ?
Probablement la vision, la décision de mener ce travail au niveau des processus, qui est bien souvent impulsée, ou non, par les politiques évoquées au début de cet article.
Mais peut-être également la prise de conscience des acteurs opérationnels du Lean qui peuvent agir à leur niveau, en prenant en main ces enjeux dans leur pratique, mais également en sensibilisant leur management aux moyens qu’ils ont souvent à portée de main. Or, il y a « urgence » en matière de climat et c’est une question de responsabilité de se lancer de manière volontariste en "bottom-up", pour amener ensuite des démarches "top-down" qui pourront consolider le Lean en tant que vecteur de la transition écologique à l’échelle de l’entreprise.
Si vous souhaitez en savoir plus sur ce sujet, je vous invite à visionner le replay de notre web-conférence « Lean et Transition Écologique ».