Faire la VOC ? Mais j'ai déjà écouté mon client !

Faire la VOC ? Mais j'ai déjà écouté mon client !
Publié le Mercredi 16 juillet 2014

Jean-Louis Théron
Master Black Belt

L'un des outils essentiels de la démarche Lean 6 Sigma est la "Voice Of Customer", en français "Voix du client". Lorsqu'un chef de projet l'aborde au cours de la phase Définir du cycle DMAIC, il se heurte parfois (souvent ?) à l'objection suivante : "À quoi bon écouter le client ? Nous connaissons déjà ses besoins !".

Alors, pourquoi l'outil VOC dans le Lean 6 Sigma ?

Tout d'abord, il est essentiel de comprendre qu'il s'agit d'écouter la voix des clients externes et/ou internes du processus qu'on souhaite améliorer au moyen du projet DMAIC. Si le client du processus de produit est le magasinier des produits finis, il faut donc l'interroger sur ses besoins ? Votre entreprise a-t-elle interrogé le magasinier sur ses besoins ?!

Ensuite, les différents moyens utilisés pour capter les besoins du client comportent des biais.

Les enquêtes contiennent parfois des questions ambigües, ou orientées (même inconsciemment) dans un sens poussé à déclarer sa satisfaction. Il est très difficile de rédiger une bonne enquête pour capter le besoin d'un client ou d'un marché.

Les relations via le marketing ou les ventes peuvent aussi être orientées, soit par un "bras de fer" systématiquement pessimiste, soit par une osmose trop grande entre un individu-client et un individu-fournisseur qui s'apprécient.

Enfin, l'exigence client doit être mesurable, afin de progresser, et ne serait-ce que pour calculer la capabilité du processus (capacité à satisfaire le client) en phase Mesurer. L'analyse des spécifications client peut permettre de trouver des valeurs quantifiées (ex : spécification de cote dans l'industrie, taux de service rendu dans le tertiaire).

Mais elle aussi peut comporter des biais : les spécifications ont-elles été "soufflées" par le fournisseur, parfois officiellement chargé de les rédiger ? ou expriment-elles un renoncement du client face à l'offre du marché, avec un besoin latent non satisfait ?

La VOC (voix du client) permet de quantifier les besoins client (ramification du besoin sous forme d'un arbre d'exigences mesurables), de prendre en compte les besoins de différents clients n'attendant pas les mêmes choses, et enfin de sélectionner les axes de percée du projet parmi l'ensemble des besoins.

Terminons par un exemple.

Si vous avez déjà commandé une pizza (un samedi soir, ou le soir d'un match de foot), vous allez bien me comprendre. Vous voulez bien sûr recevoir "une bonne pizza". Vous prenez la carte de vos fournisseurs habituels (ou vous cherchez sur Internet grâce à votre ordinateur ou à votre smartphone), et vous commandez. Serez-vous satisfait ? Pour le savoir, il aurait fallu faire la VOC.

C'est ce que va faire le "pizzaiolo" installé au coin de la place de votre quartier. Il n'est pas très réputé… Pour améliorer ses affaires, il questionne les gens du quartier sur leurs attentes en matière de qualité, de coût et de délai ("Bigre, il connaît le triangle coût-qualité-délai", celui-là ?").

Il en tire la VOC suivante (cliquez sur l'image pour zoomer) :

VOC

Les axes de percée que le pizzaïolo retient sont ceux où les clients ont des attentes fortes et où ils ne sont pas satisfaits (il pourrait compléter son enquête par une analyse concurrentielle, mais il faut quand même qu'il continue à faire des pizzas de temps en temps…). Les axes de percée sont donc, sur cet exemple :

  • Le délai de livraison Y5, parce que l'attente est forte et les clients insatisfaits ;
  • L'amabilité du serveur Y3, parce que, même si ce n'est pas l'attente la plus forte, les clients ne sont pas satisfaits non plus.

Pour améliorer son processus, notre pizzaïolo va donc mettre l'accent sur ces facteurs. Il est content d'avoir appris cela, parce qu'il se concentrait jusqu'à présent sur ses recettes, son four, etc. c'est-à-dire son métier de base. Notez bien que les facteurs suivants NE SONT PAS des axes de percée :

  • Le rendu de monnaie Y4, parce que, même si les attentes sont fortes, les clients sont contents -> c'est un point fort de l'établissement ;
  • Le prix Y6, parce qu'il est acceptable et qu'il ne s'agit pas d'une attente si forte que cela dans la zone de chalandise concernée (quartier chic ?).

S'il faut s'améliorer sur ses points, notre pizzaïolo le fera par amélioration continue, mais SURTOUT PAS par un projet de percée.

Remarque : S'il avait été difficile d'identifier des axes de percée, par exemple parce que les attentes des clients étaient trop proches, le pizzaïolo aurait utilisé le diagramme de Kano. Noriaki Kano n'est pas un de ses amis italiens, mais un japonais. Nous pourrons parler une autre fois de l'outil qu'il a créé sous le nom de "diagramme de Kano"…


Jean-Louis Théron
Master Black Belt

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