Lean Six Sigma : chasse aux coûts... et dégâts collatéraux ?

Lean Six Sigma : chasse aux coûts... et dégâts collatéraux ?
Publié le Mercredi 2 avril 2014

Jean-Louis Théron
Master Black Belt

Les méthodologies Lean et Six Sigma -- employées séparément ou ensemble -- rencontrent un succès important auprès des entreprises, du fait des résultats qu'elles permettent d'atteindre.

Cependant, un certain nombre d'articles de presse sur le Lean Six Sigma sont parus en France au cours des deux dernières années, pour dénoncer les méthodes de "cost killing" qui se cacheraient (ou pourraient se cacher) derrière ces méthodologies. Ces articles font état de réorganisations importantes, de suppression de postes, d'augmentation du stress et de la souffrance au travail. Que faut-il en penser ?

 

Les outils du Lean Six Sigma mis en cause

Au cours d'un projet Lean Six Sigma (ou dans le cadre d'un atelier/chantier en démarche Lean), l'équipe de travail étudie de près le processus à améliorer. Pour cela, elle identifie les opérations dites "à valeur ajoutée" mais aussi celles dites "à non valeur ajoutée", la valeur ajoutée étant définie comme "ce que le client est prêt à payer".

  • L'entreprise a tout intérêt à réduire les non-valeurs ajoutées, puisqu'elle ne reçoit pas de contrepartie financière du client : par exemple, si une entreprise mal organisée stocke et déstocke ses produits plusieurs fois du simple fait de son organisation interne, elle ne peut le faire payer directement par le client. Ceci va donc diminuer sa marge bénéficiaire, son résultat financier.
  • Dans la même logique, on identifie les gaspillages (de temps, de matière, de mouvements...), avec l'objectif de réduire ces gaspillages qui ne profitent ni à l'entreprise ni à ses clients. Les outils Lean Six Sigma sont-ils toxiques en soi ?

L'importance du management et de la stratégie de l'entreprise dans la démarche Lean Six Sigma

Pour répondre à la question de la toxicité des outils, il faut "re-situer" leur usage dans le contexte du mode de management et de la stratégie de l'entreprise. Pourquoi ? Tout le monde s'accordera à dire que supprimer une non-valeur ajoutée ou un gaspillage n'est pas en soi toxique, et que ce serait même plutôt bénéfique dans le principe.

  • Ce sera effectivement bénéfique si le projet ou chantier/atelier a lieu dans un contexte de respect mutuel entre la Direction et les acteurs du processus.
  • C'est-à-dire si l'amélioration du processus prend en compte les besoins de ces acteurs, pour leur permettre de réaliser plus en moins de temps sans augmentation de stress, avec une vision moins répétitive et plus intéressante de leur tâche. Si la stratégie de l'entreprise intègre l'évidence selon laquelle ce sont ses collaborateurs qui créent la richesse, ces besoins-là seront pris en compte au mieux. Il y aura des changements, parfois mal acceptés de prime abord, mais un accompagnement attentif de ces changements permettra qu'ils soient acceptés.
  • À l'inverse, si le management est empreint d'une "culture du soupçon", avec des rivalités voire des règlements de compte, ou par un raisonnement "en silo" (sans intégrer les acteurs et processus situés en amont et en aval) l'usage des outils du lean peut conduire à augmenter directement la pression sur les individus.
  • Pendant un temps, et parce qu'ils ne peuvent pas l'éviter, les collaborateurs seront contraints de suivre les nouvelles règles, mais les effets négatifs se feront obligatoirement sentir à terme : démotivation, absentéisme, mal-être au travail, augmentation du turn-over aux postes de travail, etc.
  • Et ceci est complètement contraire à la dernière phase du cycle méthodologique DMAIC, la phase Contrôler-maîtriser, puisque le but ultime du projet/chantier/atelier est que les résultats de l'amélioration soient pérennes. Comment pourraient-ils l'être si la souffrance au travail a augmenté ?

Conclusion, Lean Six Sigma : chasse aux coûts... et dégâts collatéraux ?

Les outils du Lean Six Sigma ne sont pas bons ou mauvais en soi : ils permettent d'identifier des pistes d'amélioration, mais ce sont toujours des êtres humains qui décident de ce qu'ils en font.

  • Il y a heureusement beaucoup d'exemples d'entreprises qui ont mené des projets et des chantiers d'amélioration sans que les effets négatifs invoqués soient constatés. Ce sont des entreprises qui respectent leurs collaborateurs, qui cherchent en toute circonstance à conjuguer les progrès pour le client et les progrès de leurs collaborateurs.
  • Dans le domaine du Lean et du Lean Six Sigma, comme pour tout déploiement de méthode, c'est le management et la stratégie qui sont déterminants pour atteindre des résultats satisfaisants.

Jean-Louis Théron
Master Black Belt

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